lundi 23 avril 2018

Le pays de l'absence de Christine Orban

Il y a un an, le terrible diagnostic est tombé. Mon grand-père était atteint de la maladie d'Alzheimer, stade avancé. Cette maladie, dont on entend souvent parler, souvent tournée en dérision (qui n'a jamais entendu dire "ahah, attention, Alzheimer te guette !" à quelqu'un qui avait oublié quelque chose ?) était entrée chez nous. Après un temps pour digérer, branle-bas de combat pour faciliter la vie de mes grands-parents. Une lutte quotidienne, qui demande une force monstre. C'est de là qu'est né le besoin de lire sur le sujet, des témoignages, essentiellement, et un peu de fiction. Le pays de l'absence est le premier dont je vais vous parler.

Année de parution : 2011
Nombre de pages : 176 pages
Genre : contemporaine, témoignage
Edition : Albin Michel







Synopsis :
" Minuit. Tandis que je travaille, tu as fait irruption dans mon bureau traînant une couverture, un pull panthère noué autour du cou sur ta chemise de nuit rose pâle pour me dire que tu as froid. Je te raccompagne dans ta chambre. Tu es si frêle, je n'ose même plus poser une main sur ton épaule de peur de te bousculer. Tu avances un pied devant l'autre, centimètre par centimètre... J'ignorais que la fin ressemble au commencement, que les mamans finissent par devenir des enfants, que les plus aguerries d'entre elles, celles qui furent avocates ou femmes d'affaires se recroquevillent un jour et ne savent parfois même plus marcher. Jamais je n'ai eu l'impression d'avoir un appartement aussi grand, le chemin n'en finit pas."
Et si un jour nous devenions les parents de nos parents ? Si irrémédiablement, les rôles s'inversaient avec le temps ?

Mon avis :

Ce roman de Christine Orban est un témoignage sur la maladie de sa maman et le changement que cela a pu provoquer dans leurs relations. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que leurs rapports n'ont jamais été simples !

La mère de Christine l'a eue très jeune, à 20 ans. Très vite s'est manifestée la volonté de vivre encore comme la jeune femme qu'elle était, un peu volage. Ses comportements parfois gênants (elle draguait les copains de sa fille) ont dès le début inversé les rôles entre les deux femmes, la plus jeune se chargeant de "surveiller" et réprimander son aînée. La fille était en quelque sorte la mère de sa propre mère.

Puis les deux ont grandi, offrant un court créneau de relations un peu plus normalisées. Une certaine tension persiste malgré tout entre elles. En effet, Christine est à l'opposé de ce que sa mère voudrait qu'elle soit : elle porte les cheveux courts, se maquille peu ou pas... c'est presque une hérésie pour la maman, dont la vie repose depuis toujours sur le paraître.

Quand la maladie fait son apparition, les rôles s'inversent à nouveau. L'autrice redevient la maman, la maman la petite fille. On plonge alors dans la partie qui m'a le plus intéressée dans ce roman, à savoir les difficultés auxquelles la famille doit faire face. On se représente souvent la maladie d'Alzheimer comme une maladie de la mémoire, mais c'est en réalité bien plus que ça. Elle affecte progressivement toutes les capacités de la personne : mémoire, bien sûr, d'abord immédiate puis de plus en plus ancienne, mais aussi cognitives, procédurales... elle change le comportement et le caractère, aussi. C'est ainsi que le malade perd de jour en jour l'écriture, le langage, la concentration... Et que le plus doux des agneaux peut devenir une personne colérique et impulsive.

Chaque malade va exprimer des signes qui lui sont propres, dans un ordre qui lui est propre. Au cours de cette lecture, ce qui frappe, ce sont les questions répétées, épuisantes pour l'interlocuteur. Mais aussi les idées fixes, les angoisses, qui se manifestent de différentes façons, notamment par les répétitions et les déambulations. Un comportement enfantin s'installe chez la mère de l'autrice, qui, comme une gosse, pique des crises, refuse de mettre son manteau pour sortir... pas pour embêter le monde, non, mais en réaction à une crainte inexplicable.

La situation de cette famille est particulière, puisque Mme Orban mère vivait au Maroc, et qu'il a fallu à sa fille une bonne dose d'ingéniosité pour parer aux problèmes à distance, avant de la recevoir de façon quasi-définitive sous son toit, faisant dans le même temps le deuil de la vie qu'elle aurait souhaitée, au profit de la dure réalité.

Un point essentiel concernant les aidants, ces proches présents au quotidien, est abordé : la culpabilité. Culpabilité du jugement, de l'agacement. Car même si on sait que c'est la maladie qui s'exprime, il y a TOUJOURS un moment où l'aidant sature de répéter toujours la même chose, de faire face aux crises, voire aux insultes ou engueulades. Alors pour ceux qui sont dans cette situation, nous ne sommes pas des surhommes (surfemmes ?). S'agacer est normal, et n'enlève rien à ce que vous faites pour vos proches, et qui demande un courage monstre !

En conclusion, j'ai beaucoup d'admiration pour Christine Orban, qui a mis de côté les conflits qui ont émaillé la vie de ce duo mère-fille pour en prendre soin au mieux. Ce témoignage est à lire, pour les concernés comme pour ceux qui se demandent ce que vivent vraiment les proches. Ecrit d'une seule traite ou presque, en quelques jours, je le perçois aussi comme une catharsis pour l'autrice.


Si vous avez un·e proche malade d'Alzheimer ou maladie apparentée, l'association France Alzheimer possède des antennes dans tous les départements. Elles proposent des "formations aidants"  gratuites animées par un duo bénévole/psychologue et sont hyper bénéfiques pour la compréhension de la maladie, et pour apprendre à gérer au mieux le quotidien. Si ce n'est pas fait, courez-y !

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