lundi 21 mai 2018

Là où tombent les anges de Charlotte Bousquet

Je connaissais Charlotte Bousquet à travers le premier tome de L'Archipel des Numinées, Arachnae, que j'ai littéralement adoré (il faut que je lise la suite assez urgemment, d'ailleurs), saga fantasy. C'est dans un registre très différent que je l'ai retrouvée pour la lecture de Là où tombent les anges, qui m'a séduite tout autant...

Année de parution : 2015
Nombre de pages : 395 pages
Genre : jeunesse, historique
Edition : Gulf Stream (collection Electrogène)

Synopsis :
Solange, dix-sept ans, court les bals parisiens en compagnie de Clémence et Lili. Naïve, la tête pleine de rêve, elle se laisse séduire par Robert Maximilien et accepte de l’épouser. Mais son prince est un tyran jaloux, qui ne la sort que pour l’exhiber lors de dîners mondains. Coincée entre Robert et Emma, sa vieille tante aigrie, Solange étouffe à petit feu. Heureusement Lili la délurée et la douce Clémence sont là pour la soutenir. Quand la première guerre mondiale éclate, Robert est envoyé sur le front. C’est l’occasion pour Solange de s’affranchir de la domination de son mari et de commencer enfin à vivre, dans une ville où les femmes s’organisent peu à peu sans les hommes…

Mon avis :

Bien souvent, les romans sur la première ou la deuxième des guerres mondiales nous racontent la vie des soldats, ou des civils obligés de vider les lieux pour échapper aux bombardements. Il est rarement question de ceux qui restent à l'arrière et tentent de survivre, de s'adapter tant bien que mal. En particulier les femmes.

C'est le thème choisi par Charlotte Bousquet, et c'est une belle réussite. Nous partageons le quotidien d'une sacrée palette de caractères, rencontrés au gré des déplacements de Solange, qui est au centre de l'histoire. Son histoire ne fait pas rêver : battue une fois de trop par son père alcoolique qui lui fait payer la mort de sa mère, elle décide de quitter sa campagne pour rejoindre Lili, sa copine d'enfance, et surtout, Paris. Dès lors, elle vit quelques histoires d'amour sans lendemain pour se fixer enfin avec Robert, qu'elle n'aime pas mais qui s'occupe bien d'elle... au départ. Très vite, il s'avère être un mari jaloux et violent lui aussi, et la considère essentiellement comme un faire-valoir et un incubateur en puissance. On a alors une seule envie : qu'elle s'en aille loin de lui, mais ce n'est pas si simple, et l'autrice le laisse très bien transparaître dans son récit.

D'autres femmes sont également marquantes. Lili, la chanteuse et danseuse libre, voyageuse, qui n'a pas froid aux yeux ; Clémence, amoureuse folle de son Pierre ; Marthe, qui va vite voir naître la vocation d'aider les autres ; Olga, délicieusement troublante... Chacune a son tempérament et son histoire. 
Mais mentionnons aussi tante Emma, l'acariâtre tante de Robert dont Solange s'occupe pendant la guerre, et qui se révèle porter des blessures profondes et insoupçonnables. La relation qui se noue entre ces deux-là au fil des pages est très touchante. Elles se chamaillent, s'apprivoisent, et finalement deviennent des piliers mutuels. Un duo extra.

Quand la guerre éclate, que les clients commencent à manquer, et les pénuries à devenir légion, les femmes doivent s'adapter. Fini le diktat des hommes, leurs tenues évoluent, leurs occupations aussi. De couturières, elles deviennent ouvrières munitionnettes ou conductrices de véhicules divers et variés, infirmières ou marraines. Les classes patronales profitent de leur situation désespérée pour les payer une bouchée de pain et les traiter comme des moins que rien. Très vite, la colère gronde, et les premières luttes féministes voient le jour. Cette révolution (qui n'a pas encore atteint son but aujourd'hui, hum) est passionnante. Les femmes apprennent à vivre par et pour elles-mêmes, et ça change tout !

Et pour faire passer ce message, quoi de mieux que d'écrire des articles pour les quotidiens ? C'est le choix que fait Solange, mais c'était malheureusement sans compter sur la censure. Les journaux sont tenus par les hautes sphères, et étouffent autant que faire se peut la grogne des femmes à l'arrière, comme les grosses défaites au front. S'agirait pas que le peuple prenne peur et se disperse.

Entre peur et espoir, détermination et culpabilité, choc des classes sociales et reproduction des schémas familiaux, la psychologie des comparses est finement analysée. On se prend d'affections pour elles. On bouillonne pour elles. Et on prend des claques en pleine figure, comme elles.
Autre point fort : le roman, dont l'action s'étale de l'avant à l'après guerre, suit la chronologie réelle des événements et est extrêmement bien documenté. Extraits de journaux en tête de chapitres et apparitions de personnages réels à l'appui.

La structure est elle aussi intéressante, puisqu'elle mêle passages avec un narrateur externe, courriers échangés entre amies et amants, mais aussi journal intime de la protagoniste principal. Cela maintient un bon rythme de la première à la dernière page, d'une part, et permet d'alterner les points de vue et d'en apprendre davantage sur les uns et les autres.

En conclusion, Là où tombent les anges est un roman dur mais passionnant, qui rappelle que même si les femmes n'étaient pas en première ligne au combat, elles ont joué un rôle important pour assurer les arrières. Ode au féminisme, dénonciation des violences, tant familiales que conjugales, manipulation des foules... autant de thèmes qui m'ont convaincue et font de ce livre une bien belle découverte !

4 commentaires:

  1. Un très beau livre, c'est vrai. J'aime bien cet auteur. Elle utilise souvent des lettres, des extraits de journaux... J'aime beaucoup.

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    1. Oui, j'ai trouvé ça différent de ce que j'avais pu lire sur le même sujet. C'est impressionnant de traiter autant de sujets importants en si peu de pages, tout en restant un roman qui coule tout seul !
      J'aime aussi cette autrice. Il n'y a que Tant d'étoiles dans la nuit qui m'avait moins convaincue.

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  2. Ton article donne très envie. Comme tu dis c'est original de traiter la première guerre mondiale via ceux qui sont resté "derrière". Si en plus c'est bien fait.... il n'y a plus de raison à hésiter :D

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    1. Merci ! Tu as tout dit. Plus qu'à foncer le lire (et revenir me dire si tu as aimé) ! ;)

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