jeudi 18 janvier 2018

Le bruit et la fureur de William Faulkner

Ce livre a une importance particulière pour moi. Sorte de roman totem de quelqu'un qui m'est cher, cela faisait un moment que j'étais doucement incitée à le lire. Voilà qui est fait en ce début d'année, ce qui, en plus de constituer une bonne résolution littéraire, vient faire avancer mon challenge ABC en complétant la lettre F !

Année de parution : 1929
Nombre de pages : 372 pages
Genre : drame, classique
Edition : Folio







Synopsis :
"oui je le hais je mourrais pour lui je suis déjà morte pour lui je meurs pour lui encore et encore chaque fois que cela se produit... pauvre Quentin elle se renversa en arrière appuyée sur ses bras les mains nouées autour des genoux tu n'as jamais fait cela n'est-ce pas fait quoi ce que j'ai fait si si bien des fois avec bien des femmes puis je me suis mis à pleurer sa main me toucha de nouveau et je pleurais contre sa blouse humide elle était étendue sur le dos et par-delà ma tête elle regardait le ciel je pouvais voir un cercle blanc sous ses prunelles et j'ouvris mon couteau." 

Mon avis :
Prix Nobel de littérature, prix Pulitzer, National Book Award... le palmarès de William Faulkner a de quoi intimider et en faire un monument de la littérature. La découverte de ce premier roman m'a permis d'entrevoir l'étoffe de l'auteur et de comprendre ce qui a tant fait fureur, c'est le cas de le dire.

Il y a beaucoup à dire, au sujet de ce fameux Le bruit et la fureur, tant sur le fond que la forme. 
L'histoire qui nous est contée est celle de la famille Compson, intimement mêlée à celle de leurs "nègres" qui partagent bien sûr leur vie au quotidien. Cette vieille famille du sud des Etats-Unis n'est pas épargnée par les soucis qui gangrènent chacune des trois générations présentées. 
Au premier rang : alcoolisme et maladie pour les parents. Le père, esclave de la bouteille, voit vite son rôle s'émousser, tandis que la mère, affaiblie, parait passer plus de temps alitée que debout.
Au second rang, leurs enfants n'ont rien à leur envier. Amours incestueuses, grossesse hors mariage (rappelons qu'on est dans les années 1920), fils propulsé trop jeune chef de famille qui, faute de savoir s'y prendre, se montre violent... Et n'oublions pas le petit dernier, Benjy, handicapé mental qui aime courir après les petites filles et dont le seul moyen d'expression est de hurler.
Enfin, place à la jeunesse, l'unique petite-fille de la famille, séparée de sa mère, préfère battre la campagne avec un artiste de cirque plutôt qu'aller en cours...
Sitôt ce tableau brossé, on imagine aisément que la vie ne va être simple pour personne. Heureusement, leurs employés noirs sont là pour faire tourner la maison, sous la direction de Dilsey, qui fait régner une discipline de fer et sait parler à chacun. Elle ne prend d'ailleurs pas de pincettes pour s'adresser à ses employeurs, et ça, c'est très très plaisant !

William Faulkner nous offre donc quelques tranches de vie d'une famille torturée, à mi-chemin entre les univers de Mark Twain et Des souris et des Hommes de Steinbeck.

Mais ce qui marque le plus, à la lecture de ce roman, c'est le style. Et c'est là qu'il faut être bien accroché·e ! Après quelques recherches, j'ai appris qu'il appartient à un courant appelé courant de conscience. Les idées qui passent par la tête d'un personnage sont transcrites telles quelles, comme elles viennent, sans ponctuation, ni paragraphes. Parfois sans lien direct les unes avec les autres.
Vous vous êtes déjà demandé comment, en regardant votre sapin et constatant que vous aviez mis deux boules de même couleur côte à côte (sacrilège), vous en étiez arrivé·e à vous dire qu'il fallait penser à racheter du shampoing en prévision du week-end chez tata Odette ? Eh bien voilà, le courant de conscience, c'est ça.
Il en résulte une violence inouïe quand on applique ce procédé à des personnages torturés, comme Benjy, qui ne parle pas mais n'en pense pas moins ou Quentin, le frère incestueux qui apprend que sa sœur lui échappe pour de bon. Un discours intérieur hypnotique, haletant, crispant parfois. Et ça fonctionne du feu de dieu pour ce type de protagonistes. 

On est d'accord que 400 pages comme ça ce serait difficile. Heureusement, sur les quatre chapitres que renferme le roman, le narrateur varie à chaque fois. J'en ai cité deux ci-dessus, les autres sont Jason (le fils propulsé au rang de chef de famille), et un narrateur externe. 

Tout dans la construction de l'histoire est déconcertant. Passée la première partie, où nous sommes plongé·e·s dans le grand bain sans explications, nous demandant qui parle, de qui, pourquoi on change de sujet, d'époque... si nous sommes toujours là, il nous faut encore naviguer entre 1928 et 1910, avant, après... Un véritable exercice pour nos méninges. 
Le nom des personnages est trompeur également, et je suis bien contente (et ne saurait que trop vous le conseiller) d'avoir fait un arbre généalogique en début de lecture, pour m'y retrouver. Parce ce que ce que je ne vous ai pas dit, c'est qu'on est sur trois générations, oui, mais que parmi les 7 personnages blancs, vous trouverez deux Jason, deux Maury (dont un qui va changer de prénom) et deux Quentin (dont un est une fille).

Ça parait terrible, comme lecture, non ? Et pourtant. Passés la panique et le désespoir de ne pas m'y retrouver, après avoir pris le temps d'apprécier, de découvrir le style et les personnages, j'ai passé de très bons moments en compagnie de la famille Compson. Et même plus ! J'ai découvert qu'ils apparaissaient dans d'autres romans de l'auteur, et j'ai maintenant envie d'aller m'y frotter de nouveau.

En définitive, Le bruit et la fureur est un roman qui m'a successivement déconcertée, intriguée puis happée. Je le conseille à quelqu'un qui a un certain niveau de lecture et du temps devant lui·elle pour lire, je pense en effet qu'il est indispensable de pouvoir y plonger par longues plages pour vraiment accrocher et saisir le bouquin dans toute son ampleur. Et aussi, disons le, pour ne pas se décourager. Je suis bien décidée, d'ici quelques temps, à en refaire une lecture pour capter les choses qui m'ont inévitablement échappé !

2 commentaires:

  1. Quel article soigné... on sent que tu as pris le temps de goûter le roman, comme un bon vin.
    Je suis contente que tu l'aies apprécié, ça valait le coup de patienter.

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    1. Oui, j'avais lu les premières lignes quand je l'ai reçu, et je savais qu'il me demanderait une implication importante. Le moment était venu, mais sans ça je crois que je ne l'aurais pas autant apprécié ! ;)

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